On ne présente plus Anton… mais on va le présenter quand même ! Anton Krupicka, 40 ans, est un ultra trailer américain hors norme. Originaire du Nebraska, il grandit dans la ferme familiale et découvre la course à pied à onze ans. Doué le petit ? Un an plus tard, il court son premier marathon. Mais c’est très vite l’accumulation de kilomètres qui le passionne. D’abord amateur d’ultrafond sur bitume, il découvre l’ultra trail et change totalement de perspective. Détenteur de trois licences – en philosophie, physique et géologie –, Anton allie avec brio carrière sportive de haut niveau et soif de découverte.
Il remporte de nombreuses courses mythiques dont de nombreux 100 miles : la Leadville Trail 100 en 2006 et 2007 puis la Western States en 2010 et le Lavaredo 120 en 2014. Parallèlement à la course, Anton Krupicka a aussi une passion pour le vélo. Il a aussi effectué des traversées épiques en mixant deux-roues et trail running dans les massifs américains et canadiens. Aujourd’hui, s’il court encore avec passion, Anton privilégie les projets personnels et les défis sur ses terres du Colorado. Toujours animé par une curiosité insatiable, il partage avec nous sa vision de l’évolution du trail running et son amour pour les grands espaces sauvages. Rencontre en marge du Lavaredo, la course de trail mythique dans les Dolomites italiennes, au nord de Venise.
Ça fait plaisir de te voir ici au Lavaredo ! Tu ne viens pas souvent en Europe, pourquoi es-tu là ?
Anton Krupicka : C’est un déplacement express. Initialement, je devais courir aujourd’hui [le vendredi 28 juin 2024, NDLR] pour le 50 kilomètres mais j’ai depuis peu une douleur à la hanche droite. J’ai préféré ne pas prendre le départ pour ne pas mettre en danger le reste de la saison. Je repars aux États-Unis dès dimanche car j’ai un projet qui me tient à cœur pour cet été. Cela se passe chez moi, dans le Colorado et je dois aller repérer le parcours de la traversée que je veux faire.
C’est quoi comme traversée ? Combien de kilomètres ?
Près de chez moi, à Boulder dans le Colorado, il y a une chaîne de montagnes qui culmine à 4200 mètres. Il y a une crête avec 20 sommets et je veux faire toute la crête. Il y a un record, un FKT [Fastest known Time, traversée record, NDLR] et je vais viser ça. Mais ce n’est pas forcément le but, juste finir sera déjà quelque chose qui me satisferait.
Tu mets beaucoup moins de dossards ces temps-ci, tu en as marre ?
Non, c’est juste que c’est difficile d’être en bonne santé ! J’ai 40 ans maintenant et mes meilleures années sont sûrement derrière moi, il y a 10 ans. J’ai couru pendant 15 ans et peut-être qu’on finit juste par s’intéresser à d’autres choses. Je veux faire des projets perso, combiner vélo et course, escalade… Il faut garder ça frais et rester excité par le défi. Toujours les mêmes courses, toujours les mêmes événements, ce n’est peut-être plus aussi excitant qu’avant. En même temps, mon corps n’est probablement plus au même niveau qu’avant. Donc, en résumé, je ne fais plus que ce qui m’amuse.
Tu t’entraînes différemment ?
Oui, il faut grandir et changer avec le temps. Mais, cette année, j’espère faire le Leadville 100 en août car c’est une course locale, sponsorisée par La Sportiva. J’ai fait cette course en tout six fois. La première fois, c’était il y a 18 ans, donc c’est une histoire tout au long de ma vie. Ça a donc une signification particulière pour moi.
Pour la Leadville, tu porteras quelles chaussures ?
En ce moment, j’alterne entre la Prodigio et la Mutant de La Sportiva. La Prodigio pour des sorties sur des terrains assez faciles voire sur bitume. La Mutant pour des sorties plus techniques et longues. J’utiliserai la Prodigio sur la Leadville où c’est assez roulant et la Mutant sur le FKT. Quant à la Prodigio Pro, je n’ai porté la paire qu’une fois, donc encore difficile de me prononcer.
Que penses-tu de l’évolution du trail running, avec de plus en plus de coureurs et une dimension de plus en plus business ?
Je pense que c’est inévitable dans n’importe quel sport. À mesure qu’il progresse, il devient plus professionnel. La 10e place à l’UTMB est bien plus rapide qu’avant, mais si on regarde le top niveau, les temps n’ont pas tant progressé que ça. La différence est qu’aujourd’hui, il y a dix gars qui peuvent remporter la course. L’évolution du trail running, c’est aussi davantage d’opportunités. Davantage de personnes peuvent en vivre professionnellement. Des femmes notamment. C’est quelque chose qui manquait avant. Mais il y a encore des progrès à faire de ce côté-là.
En même temps, à mesure que ce sport prend de l’ampleur et devient plus mainstream, c’est vrai qu’on perd un peu de l’esprit libre, de l’âme qui faisait le trail running au début. Ça devient plus business mais je pense que c’est aussi bien d’avoir le spectre complet. Des petites courses comme des grosses courses. Comme ça, les coureurs peuvent choisir ce qui leur convient. Et même opter pour du « off » s’ils préfèrent.
Tu prévois d’autres aventures plus tard dans la saison, comme le FKT que tu fais ?
Oui, en septembre je ferai un voyage à vélo où je vais relier des sommets alpins du Colorado avec un ami. On ira sur une dizaine de montagnes, ça fera environ 1000 km en tout.
C’est volontaire et réfléchi de limiter tes aventures au Colorado ?
Pas forcément mais j’ai beaucoup voyagé au début de l’année, donc je suis content de pouvoir être chez moi cet été. En mars j’ai fait un gros voyage dans le sud-ouest des États-Unis, en Arizona et au Nouveau-Mexique, où j’ai mixé vélo et course. C’était trois semaines d’aventure. Je suis ravi de pouvoir me concentrer sur la course dans mon jardin maintenant. Parfois, tu as juste envie de faire des choses près de chez toi, de ne pas avoir à réfléchir à la logistique.
Propos recueillis par Florence Santrot, Julie Lutringer et Emma Rota.