par Julie LUTRINGER
C’était ma deuxième tentative sur les sentiers des Dolomites. Je savais la difficulté croissante du parcours, la chaleur, la longueur. J’avais revu l’objectif : 80 km au lieu de 120 km, ça devait passer facilement. J’étais en forme, reposée, motivée. Mais une fois de plus, le Lavaredo m’a avalée toute crue. Retour sur seize heures de bataille.
Départ à la Valle
L’été dernier, j’avais jeté l’éponge au 97e kilomètre de l’épreuve reine en étant moins entraînée. Avec un dossard pour le 80km, je pensais donc rejoindre Cortina sans trop souffrir. Un simple jalon dans la préparation de mon gros objectif de l’année, l’UTMB.
Le format 80km du Lavaredo Ultra Trail, ex “Ultra Dolomites” a la particularité de changer son parcours chaque année, avec un départ dans une station différente. Le tracé rejoint les autres (120K et 50K) à mi-course et se termine à Cortina d’Ampezzo. En 2024, le coup d’envoi est donné à La Valle, petite station perchée à 1350m d’altitude. Des navettes (payantes…) sont prévues pour les coureurs au départ de Cortina.
Nous rejoignons le sas de départ juste avant 7h du matin, il fait encore frais mais la journée s’annonce chaude. Florence est concentrée, Emma tente de ne pas se laisser submerger par l’émotion. C’est la troisième année qu’elle vient, et l’arche ne s’est pas encore offerte à elle.
Les premiers kilomètres sont roulants, ça monte mais courir est possible. Je me dis que le récent trail des Celtes m’a bien préparée à cela, altitude mise à part. Puis on débouche sur une vallée et le premier col à franchir se dévoile au loin. Pour ceux qui connaissent, on dirait le col de Tricot en version 100% minérale ! La neige est de plus en plus présente, la bascule se fait à presque 2500m d’altitude.
Des descentes usantes
La descente, d’abord pierreuse et raide, s’adoucit vite mais fatigue les jambes et la tête : entre mottes d’herbe et pierres arrondies, on ne peut jamais poser le pied à plat. Rester détendu et le pied léger, certains y arrivent à merveille mais ce n’est pas mon cas. J’avance au ralenti et perds beaucoup d’énergie.
On rejoint le premier ravitaillement après une portion plus roulante, il fait très chaud. C’est la guerre pour obtenir de l’eau, et après avoir vu trop de particules inconnues flotter dans les carafes, je me rabats sur les boissons en bouteilles, gazeuses certes mais plus rassurantes.
Les ennuis commencent pour moi, car il n’y a pas la boisson énergétique escomptée. Rien qui me convienne en termes de ravitaillement solide, mises à part les bananes, toutes vertes. Quelle bêtise de ne pas avoir chargé mon sac de poudres et barres perso ! Je repars le ventre un peu trop vide en priant pour croiser des ruisseaux. Le prochain ravitaillement n’est que dans 3 heures.
La 2e “bosse” est plus longue mais sublime. Après une montée dans la forêt, puis les prairies vert fluo, on parcourt un beau plateau d’altitude en roche grise, avant de rebasculer vers de petits lacs. La fin de descente bien raide fait mal, nous rejoignons ensuite le parcours commun et le ravitaillement de Malga Ra Stua. Après 6h de course, je n’ai parcouru QUE 33 km.
Interminables kilomètres
Une seule pensée me remonte le moral : je suis moins entamée que l’année dernière au même endroit. Tout est donc possible. Sur la portion suivante, j’évolue effectivement plus vite (bien plus vite qu’en 2023) même si les sensations ne sont pas très bonnes. Comme si le moteur n’avait pas de carburant.
Pendant quelques kilomètres, je m’accroche au rythme d’Anouck, une Parisienne rencontrée la veille, qui pète la forme et remonte tous les coureurs. Après un long canyon, des traversées de ruisseaux jusqu’aux genoux puis la dernière montée jusqu’au col, on redescend légèrement pour atteindre le col Gallina.
Ne pas réfléchir. Repartir le plus vite possible. C’est sur ce point de passage que j’ai rendu mon dossard il y a un an. Et la dernière portion de course n’est pas qu’une formalité, je l’estime à cinq bonnes heures. Je constate, autour de moi, que tous les coureurs sont en souffrance. Les traits sont tirés dans la montée, qui est redoutable : les 500m de D+ semblent le double.
Les nerfs qui lâchent
Les ravitaillements se sont heureusement rapprochés : à Passo Giau, je prends conscience que je ne m’alimente pas assez, voire plus du tout. Je glisse une poignée de gaufres Naäk dans mon sac et repars avec la résolution de les manger… plus tard. Après une traversée en dévers, la mini montée aux allures de KV m’achève.
Au sommet, j’ai besoin d’être rassurée : « Était-ce bien la dernière montée ? » . Un Français me répond : « Oui, maintenant il n’y a plus que de la descente ». Je me raccroche à cette idée comme à une bouée, jusqu’à ce que j’aperçoive, quelques minutes plus tard, une autre montée droit devant.
Je craque. Pour la première fois en 14 heures, je m’arrête au bord du chemin. J’essaie de manger le sachet de gaufres, en m’aidant de gorgées d’eau. Les larmes coulent, de frustration, de colère, de déception. Qu’est-ce que je fais ici ? Qu’est-ce qui m’a pris de penser que je pourrais tenter l’UTMB alors que je n’ai même pas la force de boucler 80km ? Pourquoi le courage me fait-il défaut aujourd’hui ?
Craquer… puis repartir
J’appelle Alexis, à Paris, comme s’il allait pouvoir tout résoudre. Il me dit de m’accrocher, que ce que je vis me servira plus tard, que j’en sortirai grandie. Il me dit que je suis presque arrivée. La nausée revient et je vomis la totalité de ce que j’ai réussi à avaler. Je sanglote comme un enfant, les coureurs s’arrêtent les uns après les autres pour s’enquérir de ma santé mais je suis inconsolable car la montée est toujours là, devant, à me narguer.
La crise passe, le chagrin s’efface, je me relève et réalise que les sensations sont étonnamment meilleures. Comme si les compteurs étaient remis à zéro, le corps nettoyé. Je repars en courant, ne sachant pas combien de temps durera cet état de grâce. La dernière montée n’est finalement pas si terrible, et la descente s’avère la moins traumatisante du parcours (hormis un petit passage bien glissant…). En cadeau, le parcours est presque 2km plus court qu’annoncé.
Je franchis la ligne un peu avant 23h (soit 15h45 de course), encore animée par ma colère, sans réussir à décrocher un sourire. Je m’en veux de m’être faite malmener ainsi, une nouvelle fois, par ce parcours. Loin de me rassurer, ce Lavaredo m’a inondée de doute. J’apprendrai un peu plus tard que Florence et Emma ont elles-aussi vécu une course difficile. Leurs récits sont à retrouver ici : Énigme non résolue (Emma) et Plus c’est long, moins c’est bon (Flo). Peut-être la difficulté est-elle aussi une manière d’apprendre…
Infos pratiques : à retrouver à la fin de cet article.
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