Par Florence SANTROT
Sur la ligne de départ peu avant 7 heures du matin, je réalise l’ampleur du chantier : 80 kilomètres. Ça va être long, très long. Très chaud aussi. Les prédictions de LiveTrail pour ce Lavaredo 80K annoncent mon arrivée après 16h15 de bataille sur les sentiers de Dolomites. Une arrivée avant minuit ? Je prends ! Mais si les températures s’invitent en chemin, je crains le pire, n’ayant encore jamais couru en mode estival depuis le début de la saison. Jusqu’à présent, les courses, c’était frais, pluie et boue. Alors des températures largement au-dessus de 20 degrés… il va falloir gérer.
Surtout que, allez savoir pourquoi, les ravitaillements du Lavaredo sont très espacés en début de course. 20 kilomètres avec une bonne dose de dénivelé entre la deuxième et la troisième station, en plein cœur de l’après-midi, POURQUOI ?! Heureusement, Emma me rassure en me disant qu’on croise régulièrement des torrents pour remplir les gourdes et se mouiller. Ouf ! Par contre, ça nécessite quand même de bien alourdir le sac en barres et autres compotes. De la vraie de vraie semi-autonomie… Je me dis que ce sera un bon entraînement en vue de la TDS fin août.
Lavaredo 80K 2024 : 1300 m de D+ dans les dents d’entrée de jeu
Au départ, aux côtés de Julie et Emma, je réalise aussi que je ne connais absolument pas le parcours de ce 80 km. J’ai seulement chargé le profil sur ma montre. Pas si grave : ce sera comme d’habitude, un pas devant l’autre… Ça part avec une montée bien sèche et des températures qui grimpent avec nous. 1300 mètres de D+ dans les dents d’entrée de jeu, ça force à entrer vite dans sa course ! Le 80K du Lavaredo a ceci de particulier que son village de départ change chaque année. Cette fois, on part d’Alta Badia.
Après cette montée sèche, la descente derrière est assez agréable pour ma part, avec des chemins assez larges qui permettent de doubler facilement. Je gratte les places perdues à la montée. Jusqu’ici tout va bien. Arrive le premier ravito et la première déception : pas de boisson énergétique Näak alors que c’est un des sponsors de cette course « by UTMB ». À la place un breuvage blanc, façon eau de cuisson de riz salé. Vu les chaleurs à 10h du matin, je n’hésite pas et je remplis ma flasque. Ce n’est pas très bon mais je préfère mettre toutes les chances de mon côté sur le plan de l’hydratation. Surtout qu’un léger mal de tête est apparu depuis le passage du premier col à 2475 mètres. Il ne me quittera pas jusqu’à l’arrivée.
Des tartines au Nutella au ravitaillement, sérieusement ?!
Ça repart pour la deuxième grosse grimpette. C’est un peu plus doux mais assez long sur la partie haute qui semble ne pas en finir. Et la descente ? Chaud, chaud, chaud car le soleil est à son zénith et qu’on perd pas mal d’altitude vers le fond de la vallée. Les sentiers rappellent un peu ceux de la Restonica, bien techniques et… chiants par moment. C’est long sous le cagnard. Le deuxième ravito est le bienvenu. Bonne surprise : on peut piocher dans des barres Näak encore emballées et il y a leur boisson énergétique. Mauvaise surprise : le bouillon au riz (hydratation, sel et calories, le trio gagnant) est assez dégueulasse. Et les tartines au Nutella, comment dire… la team du Lavaredo, payez-vous un nutritionniste spécialiste de l’endurance !
Il est environ 13h30. Je ne m’attarde pas trop et je repars tranquillement vers le gros morceau de l’après-midi : la remontée d’un long canyon sous la chaleur. Pas déçue du voyage ! Que c’est long… mais au moins la pente est assez douce et les paysages sublimes. Au regard des fortes pluies dans la région, nous sommes obligés de passer des torrents une petit dizaine de fois avec de l’eau presque jusqu’au genou. L’eau est gelée : ça fait du bien sur le moment… et ça permet aussi d’identifier les ampoules en formation. Impossible en revanche d’espérer trottiner derrière sous peine de s’écorcher les pieds. On espère ne pas trop macérer avec le duo terrible : chaleur et humidité. Spoiler alert : de belles ampoules à l’arrivée.
Sur le Lavaredo 80K, les heures passent… mais pas les kilomètres
J’en finis avec l’interminable remontée – et quelques stops pour réussir à m’alimenter car la nausée est venue avec les chaleurs. Malgré la fatigue qui s’installe et le besoin de faire quelques pauses, le canyon est finalement assez chouette avec des chemins en zig zag sur la fin. Un coup d’œil à la montre : je suis dans les temps annoncés par LivreTrail mais alors le total kilométrique est bien trop bas à mon goût. Il reste encore environ 25 bornes. Ça va être long au possible cette course.
Sur le papier, le reste de l’épreuve (qui n’a jamais si bien porté son nom) est une espèce de longues traversées de crêtes avec quelques grimpettes raisonnables. Mais, sur le papier, ça ne dit pas qu’on traverse des champs de pierre où poser son pied demande une concentration extrême. Et que les grimpettes en question sont des petits murs. Heureusement, les nuages se sont invités à la fête et rafraîchissent la situation avec l’aide d’un peu de vent d’altitude.
Pas de Cinque Torri, place au brouillard
Le soleil se couche peu à peu. Autour de moi, ça enfile la veste mais, dès qu’on redescend un peu, la chaleur revient vite. Je décide de rester en T-shirt en serrant un peu les dents aux cols. Ça tient. Reste plus qu’à oublier le temps qui file aussi lentement que les kilomètres et à aller de ravito en ravito. Ceux-ci se sont très nettement resserrés (sans doute pour le bien de ceux du 120 km qu’on a retrouvés depuis Col Galina). Le défi, maintenant, est de continuer à trottiner (on ne peut plus dire courir à cette allure) dès que possible pour perdre le moins de temps possible. J’en ai marre de cette course. Et encore plus quand je réalise que les Cinque Torri sont dans le brouillard à mon passage et qu’il n’y aura pas de coucher de soleil car trop de nuages. De la purée de pois en lieu pour le dîner, vous en voulez ?
Bref, j’ai adoré les paysages époustouflants au cours de la journée mais alors je n’ai pas aimé le parcours – trompeur – ni les sentiers – soit trop faciles, soit trop durs. Pas de juste milieu.
La nuit arrive. J’allume la frontale. Dernier ravito. Ça redescend sur Cortina. On voit très (trop) tôt les lumières en fond de vallée mais la ligne d’arrivée semble ne jamais arriver. Cerise sur le gâteau, on passe par une partie glissante au possible (15-20 minutes) puis de la boue puis… une vache au milieu d’un sentier un peu étroit. Comment on fait pour qu’elle comprenne qu’on doit passer ? J’attends un peu et puis, après 5 minutes, je décide de me faufiler le long de son flanc gauche en espérant qu’elle soit compréhensive. Ça passe, l’herbe bien goûtue l’intéressait plus que moi !
Arrivée à Cortina d’Ampezzo avant minuit
Vient enfin la libération : du bitume et le panneau « ligne d’arrivée 2 km ». J’en termine avec ce qui est devenu depuis le milieu de l’après-midi un long calvaire. Finisheuse du Lavaredo 80 en 16h44, j’arrive comme promis à Cortina d’Ampezzo avant minuit. Contrat rempli avec une dernière idée à la con : « sprinter » vers la ligne d’arrivée. L’occasion d’éclater une belle ampoule au petit doigt de pied et grimacer de douleur sous l’arche. Tout ça pour gagner 5 secondes, bravo Flo !
On en pense quoi de cette course : à faire absolument pour les paysages (si le beau temps n’est pas au rendez-vous, c’est le drame) mais il faut s’attendre à souffrir et à prendre son temps en patience. Est-ce que je reviendrai ? Dans les Dolomites pour randonner, absolument. À Cortina pour le Lavaredo ? Je passe mon tour !
Les récits de Julie et Emma sont à retrouver ici : Impitoyable Lavaredo et Lavaredo, énigme non résolue.
Mes enseignements :
- Quand il fait chaud, les compotes passent tellement mieux que les barres
- Plus vous soignez l’hydratation en alternant boisson énergétique et eau plate (une dans chaque gourde) très régulièrement (petites gorgées tous les quarts d’heure par exemple), mieux vous vivrez votre course
- Le bouillon chaud salé avec des féculents dedans est toujours une bonne idée, par temps froid comme chaud (du sel, des glucides et une nourriture chaude donc plus facile à digérer)
- Un petit sachet en plastique (type sac congélation IKEA) vide vous permet de prendre de la nourriture au ravito et de l’emporter sur les chemins pour continuer à grignoter en avançant et passer un minimum de temps en statique
- On peut garder des petits cailloux dans ses chaussures pendant plus de 8 heures de course. C’est chiant mais ça passe (mais c’est un peu con, j’avoue)
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