Quand on s’aligne avec un dossard sur la ligne de départ d’une course de trail, force est de constater que la très très grande majorité des sportives et sportifs présents est blanche. Martin Johnson en sait quelque chose. Ce Britannique vivant à Londres fait partie des rares trailrunners noirs, une exception dans ce milieu. S’il avait déjà quelques marathons à son actif, ce n’est qu’assez récemment qu’il a découvert le trail, par l’entremise d’un ami qui lui a fait découvrir la course nature. Une projection de son documentaire, Run to the Source, à Paris fin mars 2022 a été l’occasion de le rencontrer… et de lui poser quelques questions.
« Ayant grandi dans le sud-est de Londres, je n’avais pas l’habitude de quitter la ville, explique Martin Johnson. Randonner dans la campagne, aller à la montagne ou faire des virées en bord de mer n’étaient pas des choses que je faisais. Pour moi, courir, c’était une manière de rester en forme après la naissance de mes deux garçons. C’est devenu aussi une manière d’éviter de m’entasser chaque jour dans le métro car je vais au bureau et j’en reviens en courant. De la périphérie de Londres au centre de la City [Martin s’occupe de la gestion de logements sociaux, NDLR]. Et puis j’ai découvert le trail et c’est devenu une passion. »
Les berges de la Tamise comme échappatoire
Pour s’éloigner de Londres et retrouver la nature, Martin Johnson a vite compris que le chemin le plus simple était de suivre le fleuve. La Tamise est devenu son point de référence au fil de ses sorties. C’est donc assez naturellement que lui est venue l’idée de courir de l’embouchure de la Tamise jusqu’à sa source, à Thames Head, dans le Gloucestershire. Un parcours sinueux de 296 kilomètres qui donne le vertige. Et qui permet de montrer qu’il existe des traileurs noirs.
Une manière aussi pour Martin Johnson de réaliser un rêve. « Au cours de mes runs pour aller travailler, j’avais toujours eu pour fantasme de ne pas m’arrêter à mon bureau au centre de Londres mais de continuer à courir le long de la Tamise pour voir jusqu’où je pouvais aller. C’est un voyage symbolique, pour encourager les gens à sortir de la ville et à découvrir la nature alentour. En matière de trailrunning, la communauté noire manque cruellement d’exemple. » Un jour, il en parle à Phil Young, un autre traileur noir qui fait partie de la communauté britannique Black Trail Runners. L’idée fait son chemin… jusqu’à devenir réalité.
Pour Martin Johnson, rien de possible sans la communauté noire
Ce n’est pas un hasard si la relation intime entre Martin Johnson et la Tamise est aussi teintée d’un goût amer. En effet, l’histoire du fleuve est aussi étroitement liée au commerce transatlantique des esclaves noirs. Cette remontée de la Tamise fut donc tout autant un défi sportif — fixer un nouveau FKT ou fastest known time, temps de référence record – que l’occasion de rappeler de douleureux moments. Ceux de l’escalavage mais aussi l’époque de l’arrivée en Grande-Bretagne de Jamaïcains, alors citoyens britanniques, venus trouver un monde meilleur… et qui déchantèrent bien vite.
Ce défi immense de la remontée de la Tamise a fait l’objet d’un documentaire, Run to the source, où on découvre tout autant la personnalité attachante de Martin Johnson que la cohésion de ses proches pour l’aider dans ce défi hors du commun mais aussi (surtout ?) tous les obstacles qui se sont dressés et se dressent encore contre la communauté noire, dans la pratique sportive comme au quotidien.
De l’importance de l’exemplarité
Martin Johnson insiste sur ce point : tout comme il a fallu – et il faut encore –mettre en avant le parcours de femmes dans la course et le trailrunning pour attirer davantage de femmes dans ce milieu, il importe de montrer des exemples de trailrunners et trailrunneuses noir.e.s pour cela serve d’inspiration. Pour que leur présence ne soit plus une exception mais que cela devienne une habitude, il faut les voir. En première ligne lors des départs de course, en leader lors de sorties d’entraînement, sur les affiches promotionnelles des marques de sport. Comme dans le cas de nombreuses minorités, la priorité est de lutter contre l’invisibilisation pour inspirer et faire bouger les lignes.
Ce documentaire Run to the source, réalisé en collaboration avec Patagonia, marque dont Martin Johnson est ambassadeur, apporte sa pierre à l’édifice. Une épopée pas comme les autres, le long de la Tamise. De l’eau parfois jusqu’aux genoux. Et un FKT à la clé.