Le trail du Lavaredo, qui a lieu fin juin dans les Dolomites, est probablement l’un des plus beaux parcours au monde. Néanmoins, il ne faut pas sous-estimer sa difficulté, qui s’accroît au fur et à mesure des kilomètres. Trois semaines après avoir vécu l’enfer dans un cadre de rêve, l’envie d’y retourner est déjà là. Voici ce que j’en ai retenu.
Cinq copines, un week-end en Italie et 120 km chacune. C’était le brief de départ, décidé (comme souvent) sur un coup de tête lors d’une soirée (un apéro) d’automne. Notre « club des 5 » composé d’Emmanuelle, Leslie, Delphine, Florence et moi est tiré au sort par l’organisation quelques semaines plus tard. Une chance ! Le Lavaredo 120K, c’est plus de 3000 inscrits pour seulement 1550 dossards.
Nous optons pour un « vrai » séjour de trois nuits sur place (dont une en course…). En arrivant le jeudi en Italie, on s’octroie une vraie nuit sur place avant la course pour emmagasiner le plus de sommeil possible. Les dossards sont retirés le vendredi matin et le vrai stress va commencer l’après-midi. Quelques heures avant le départ, nous visionnons des vidéos du parcours sur Youtube et prenons la mesure de ce qui nous attend…
Première partie de nuit
Le départ à 23h dans les rues de Cortina, avec le public et la musique d’Ennio Morricone, est galvanisant. Tous les coureurs partent en même temps (pas de vagues horaires). L’allure me paraît quand même très soutenue compte tenu du format. Je me dis que ma sensation d’inconfort finira par s’estomper et qu’il sera toujours temps de ralentir après les premiers kilomètres. Les premiers ravitaillements (Ospitale, Passo Tre Croci) sont bondés, moyennement fournis et apportent peu de réconfort.
Le choix du départ en début de nuit permet surtout de rejoindre le lac du Misurina au premières lueurs du jour, puis les « Tre Cime di Lavaredo » au petit matin. On bénéficie d’une lumière parfaite pour évoluer dans ce lieu majestueux. Le spectacle est à couper le souffle, avec une vue à 360° sur tous les sommets environnants. Malheureusement, je continue à peiner, quel que soit le relief. Montées, descentes, l’ensemble est plutôt roulant mais j’ai l’impression d’avoir vidé toute ma réserve d’énergie pendant la nuit. Je prends mon mal en patience et me concentre sur la beauté du paysage.
Cimabanche, objectif de mi course
La descente jusqu’à Cimabanche est réputée difficile : avec 15 km et 1000 m de D-, il faut faire preuve de ténacité. En particulier, les derniers kilomètres de faux-plat montant peuvent devenir une épreuve redoutable en fonction de l’heure. J’ai la chance d’y passer avant 11h et de profiter d’un peu d’air frais. Emma et Florence, qui emprunteront le même sentier à peine une heure plus tard, auront droit au cagnard.
Mon conseil : profiter de toutes les opportunités pour alléger la charge mentale sur cette étape. Par exemple, discuter avec les autres coureurs et se motiver pour courir ensemble. Ou encore, mettre une bonne playlist. L’objectif est, au minimum, d’alterner marche et course.
Cimabanche (km67) est plus ou moins la mi-course. On peut y récupérer son « dropbag » (sac d’allègement transporté par l’organisation) et envisager une pause plus conséquente pour se changer, s’alimenter, voire dormir. Je tente la totale : nettoyage (j’ai prévu une serviette humide), change complet, repas salé et un stop qui durera près de 3/4 d’heure. J’ai encore l’espoir que cela me permette de repartir sur de meilleures bases pour la suite.
Un canyon sans fin
Cela ne sera malheureusement pas suffisant, car la suite du parcours va s’avérer de plus en plus difficile. La chaleur y est pour beaucoup. Après Cimabanche, la montée est une vraie fournaise et la plupart des coureurs sont à la peine, malgré le petit ruisseau qui permet de se rafraîchir régulièrement. Ma vitesse est en chute libre, je tente tout ce que je peux (micro-sieste sur le bord du chemin, boire, manger…) mais rien ne fonctionne. Le corps est en mode « OFF », chaque pas demande un effort démesuré, c’est la « pain cave » absolue. À Malga Ra Stua, j’essaie de ne plus penser, de débrancher le cerveau et tenter d’avancer en attendant de sortir de ce tunnel.
C’est dans ce moment de vide total que surgit une voix pleine d’entrain dans mon dos. Une coureuse m’interpelle en français (c’est rare) et se réjouit de croiser une compatriote. Cette rencontre inespérée va me permettre d’avancer encore quelques heures. Je m’accroche à Valérie, traileuse Alsacienne très sympathique, comme à une bouée. Je cale mes pas dans les siens, et notre discussion maintient mon esprit éveillé jusqu’au ravitaillement suivant.
Les paysages sont une fois encore magnifiques : nous remontons un long canyon, il fait très chaud et le ravitaillement de Malga Travenanzes (eau uniquement) est salvateur. À nouveau, je prends le temps de m’allonger mais j’ai de plus en plus de mal à avancer. Pas de blessure mais tout le corps me fait souffrir et j’ai la sensation d’être totalement vidée de mon énergie. Je ferai un dernier effort pour franchir le col puis replonger jusqu’au ravitaillement suivant.
Baisser de rideau
Au bout de 20 heures de course, je prends la décision de m’arrêter au prochain point de parcours. Même dans l’hypothèse d’une évolution constante à cette allure (peu probable), le temps de course qui me reste avoisine les 8-9 heures… et ni l’envie ni le corps n’y sont plus.
À 19h30, à bout de force après 20h30 de course, je rends mon dossard au ravitaillement du col Gallina (97e km). Trente minutes plus tard, je suis en PLS dans mon lit et commence à tousser. La grippe qui va me terrasser les jours suivants apportera une partielle explication à cet état de fatigue imprévu.
Je n’ai pas vécu la fin du parcours mais Leslie et Delphine, les deux finisheuses de notre groupe, m’ont confié qu’il s’agit de la portion la plus difficile. Les étapes sont certes courtes en distance, mais on évolue très lentement car les sentiers sont rocailleux et techniques. Le pire est la dernière descente, avec de la roche et des racines très glissantes. Un vrai régal quand on a déjà plus de 100km dans les jambes (et une nuit blanche) !
Bilan du « club des 5 »
Leslie et Delphine bouclent les 120km en respectivement 24h19 et 24h42. Emma et Florence ressentent les premières douleurs d’un TFL dans la descente de Cimabanche et finissent par se faire rattraper par la barrière horaire à Malga Ra Stua (77e KM). Quand à Valérie (mon acolyte d’Alsace), elle ne faiblit pas et vient à bout de la course en 28h18, bravo à elle ! Autant vous dire qu’avec ce score de 2 sur 5, on s’est déjà concertées et la revanche est prévue… peut-être dès l’été prochain 🙂
Heureusement, la course n’était pas l’unique raison de ce voyage et le séjour à Cortina entre traileuses était déjà une fin en soi… On a mangé des glaces délicieuses, dégusté des cappucinos exquis et on s’est régalées de pâtes cuites à la perfection. On a beaucoup ri et refait le monde, surtout celui du trail… Un article sur le sujet est d’ailleurs en lecture ici : Ce que nous (les femmes) voulons en trail.
Infos pratiques
Pour bien se préparer, le plan de course (personnalisable) est disponible en téléchargement ici.
Pour se rendre dans les Dolomites au départ de Paris, le plus simple en 2023 reste l’avion (adieu empreinte carbone…) jusqu’à Venise, puis deux heures de voiture jusqu’à Cortina. Attention, la route est souvent encombrée/ en travaux et le temps de trajet rallongé. Espérons qu’une option de train, même de nuit, soit mise en place dans les prochaines années.
Autre difficulté : trouver un hébergement à Cortina d’Ampezzo. Cette station de ski italienne, malgré son look un peu vieillot, bénéficie d’une clientèle aisée et des tarifs qui vont avec. Nous finissons tout de même par mettre la main sur un appartement en plein centre ville, qui s’avèrera encore plus près du départ que prévu (30 mètres). Budget : 1615€ pour 3 nuits. Mon conseil : réserver son hébergement dès la confirmation d’inscription (octobre) !
Où manger ? Pas si simple de trouver un bon restaurant de pâtes à Cortina. La station est riche en restaurants gastronomiques et en bars à tapas. Entre les deux, il faut chercher. Voici une bonne adresse où nous avons engouffré des énormes (trop grosses ?) rations de pâtes : Restaurant Ariston, Via Guglielmo Marconi, 10.
Prochaine édition de la course : 26 au 30 juin 2024. Inscriptions à ne pas rater, dès début octobre 2023 !
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