Si l’échec au tirage au sort de l’UTMB était en réalité une aubaine ? Il y a deux ans, je rassemblais mon courage pour m’inscrire au départ de la TDS, cette course de l’UTMB réputée difficile. Quelques mois plus tard, après une préparation caniculaire, je la vivais une première fois dans des conditions de froid exceptionnelles. Cette année, j’y suis revenue avec encore plus d’envie. Malgré la météo clémente, je n’ai pas été déçue : la TDS, c’est toujours aussi dur… et c’est aussi pour cela qu’on l’aime.

Lundi 25 août 2025, 22 heures. La navette vient de nous déposer à Courmayeur, presque deux heures avant le départ. Un DJ complètement frappé explose les tympans des coureurs qui tentent en vain de grappiller de précieuses minutes de repos. Je lui demande de baisser le volume, rien à faire, il a eu « la consigne de mettre la musique très fort ».
Enfin, nous nous dirigeons vers les SAS. C’est étroit, bondé, un peu désorganisé. Il faut jouer des coudes pour avancer. Comme à l’habitude, les femmes sont davantage contrôlées que les hommes pour leur numéro de vague (pfff). Miraculeusement, on se croise presque tous pour un dernier encouragement avant le départ : Fred, Eric, Vincent, Manon, Florence, Jean…
La première nuit : poussière et silence
23h50, le coup d’envoi est donné, la première nuit blanche commence à dérouler. Rapidement, le troupeau de coureurs crée un nuage de poussière qui ne cessera plus. Ça pique un peu les yeux, la gorge. Mais tout le monde est concentré, silencieux. Il faut avancer, le plus vite possible, sans s’épuiser… difficile équilibre pour cette première partie de parcours très roulante. Les descentes, sur des chemins 4×4, semblent infinies. La rencontre avec Justine, juste après le lac Combal, me permet de discuter un peu et de rester plus éveillée.
Enfin, le ciel commence à rosir puis à s’éclaircir lentement. Je prends le temps de me retourner, et d’admirer le long serpentin de frontales. Ce moment unique est précieux, c’est le mien, le nôtre : il vaut bien la nuit passée dehors et les efforts de ces dernières heures. Encore quelques kilomètres, nous longeons le lac Verney avant de grimper au col du Petit St Bernard.

Bourg Saint Maurice : l’assistance salvatrice
Dans la descente vers Bourg Saint Maurice, je rattrape Manon, rencontrée lors du Trail des Écrins cet été. C’est le premier d’une longue série de chassés-croisés entre nous 😉 Juste avant le ravitaillement, c’est Mathilde qui nous accueille et nous encourage. Cette boule d’énergie m’avait impressionnée lors de sa dernière CCC, où je faisais une assistance. Dans la base de vie, Fred et moi retrouvons nos assistants de choc, Benjamin et son fils Rubin. Ils sont aux petits soins pour nous, vont nous chercher à manger et à boire. Surtout, grâce à eux je peux entièrement me changer avec des vêtements propres et secs. Crème solaire, lunettes, casquette, contrôle du matériel à la sortie et ça repart ! Petit coucou à Anne, puis Kevin, qui attendent leurs coureurs.
La plus grosse difficulté du parcours nous attend, et plus les minutes passent, plus la chaleur complique la tâche. Cette montée, jusqu’au Fort de la Platte d’abord, le Passeur de Pralognan ensuite, est terrible. Plus de 1700m de dénivelé positif sous la chaleur. Nous partons à trois – Eric, Fred et moi – puis je me mets dans ma bulle et tente d’imprimer un rythme régulier. Cela implique de doubler régulièrement et donc brûler de l’énergie. Je rattrape Manon qui était repartie avant moi de la base vie, et un peu plus loin Fred qui est abattu par la chaleur ; nous continuons ensemble, lents mais réguliers.
Au Fort de la Platte, mon souvenir d’un bar improvisé se confirme : en plus de l’eau (gratuite), nous pouvons acheter des sodas frais. Les deux Orangina sont bus presque cul sec. La montée, entrecoupée d’une sieste sur l’herbe, continue encore longtemps – 4 heures au total – avant la bascule du Passeur. Je ne m’arrête surtout pas au sommet pour ne pas laisser le temps à la peur de monter. C’est à une allure d’escargot que nous descendons les premiers mètres engagés, puis à peine plus vite la suite de la pente vers le Cormet de Roselend.
Des micro-siestes et des copains
L’usure générée par la montée se fait sentir et j’arrive au ravitaillement dans un état de fatigue avancé. Fred, qui souffre de maux de tête, s’informe auprès du poste médical. Une infirmière nous propose alors de nous allonger sur les lits disponibles. On s’installe, on s’endort immédiatement et elle vient nous réveiller avec douceur au bout d’un quart d’heure. L’effet est immédiat, j’ai la tête légère, l’esprit plus clair. Nous repartons vers la Gittaz, presque en même temps que Romain (cette course est définitivement celle des copains).
C’est beau, mais dur… Je manque d’énergie et essaie – tant bien que mal – de ne pas penser au chemin restant. Lorsque je me laisse aller à cette pensée, c’est si écrasant que la seule option est l’abandon. Il n’y aura pas de moment de grâce pendant cette TDS, le seul raisonnement logique est celui du renoncement. Alors je ne raisonne plus, j’opte pour le micro terme constant : un pas c’est ok, 10 mètres c’est ok, alors on avance. Sur cette portion, nous croisons les équipes de la PTL (Petite Trotte à Léon, 330 km), qui sont parties 12 heures avant nous. Les encouragements fusent, ce sont eux les héros, notre course n’est rien à côté !
À la Gittaz, les langues commencent à se délier, des duos/trios de coureurs semblent s’être créés naturellement. C’est le moment que je préfère, celui où on l’on s’est débarrassé des apparences, du superflu, des tracas du quotidien. La fatigue et l’épreuve vécue sont si intenses que toutes les barrières tombent, on est tous dans le même bateau, tous égaux et amis. On discute avec Martin et ??? (un prénom norvégien que je ne retiendrai jamais, même après l’avoir vu 5 fois pendant la course), qui sont venus chercher leurs Stones pour l’UTMB. Manon est là aussi, toute une équipe est venue l’encourager, y compris son frère.

La tentation de l’abandon
Après un bain de jambes dans l’eau glacée, on repart en empruntant l’itinéraire annoncé la veille. En raison des risques d’orage en soirée, le Pas d’Outray sera contourné cette année. Le nouveau tracé est plutôt agréable, même si plus long en distance. Nous longeons le lac de Roselend, grimpons au col du Pré puis descendons encore jusqu’à Beaufort. Nous sommes en course depuis 21 heures trente, et c’est ici que la plupart des abandons ont lieu.
La nuit tombe, les corps sont épuisés. La base de vie est bruyante, la salle des masseurs/podologues pleine à craquer. Je tente tout de même ma chance pour soulager mon bas du dos et les muscles des jambes. Je me sens si faible que j’envisage un moment de dormir 2, voire 3 heures pour recharger les batteries. Frédéric m’en dissuade et je me contente d’une micro-sieste de 12 minutes. Nous resterons une heure et demie dans ce gymnase, aidés par Rubin et Benjamin, qui font preuve d’une patience infinie.
2e nuit sous la pluie
Au moment de repartir, la pluie s’invite. Mais l’atmosphère reste étouffante, et la veste inutile pour aborder la montée jusqu’à Hauteluce. Je connais le chemin par cœur, et c’est un avantage. À la sortie d’Hauteluce, les paupières se ferment à nouveau toutes seules, nous nous allongons sur un escalier et nous endormons dix minutes. C’est juste ce qu’il faut pour ne pas trop nous refroidir. D’une coureuse qui ne dormait jamais en course, je deviens une mordue de micro-siestes ! La montée est raide, la pluie s’intensifie, mais nous avançons. Nous passons le barrage de la Girotte, puis le col du Joly, avant de redescendre vers le Signal.
Là encore, c’est la course à la sieste. Les ⅔ des coureurs présents à l’intérieur du ravitaillement sont allongés par terre, sous les tables, endormis. Je n’ai pas à attendre longtemps avant que l’un d’entre eux ne se réveille et me propose sa place. Je m’allonge, règle le réveil, m’endors. Fred reste éveillé mais vérifie ses constantes auprès du staff médical, tout est OK. Le jour se lève dans la descente vers Notre Dame de la Gorge. J’ai l’impression d’être à la maison tant j’ai sillonné ce chemin cet été.
La lutte des dernières montées
Aux Contamines, nos amis Mauryn, François et leur fille Lou Emma nous font un accueil chaleureux. Ils se sont installés en terrasse et nous commandent un vrai café pour nous réveiller. Les parents de Florence m’ont apporté un dernier sac d’assistance qui me permet de me changer encore une fois. Je fais rapidement soigner mes ampoules naissantes auprès des podologues puis nous repartons pour le dernier morceau : 3 montées, 3 descentes et la dernière ligne droite jusqu’à Chamonix.
Le début de l’ascension est violent. La pente me semble invraisemblablement raide. J’apprendrai plus tard que deux des élites de la course ont fait des malaises dans ces montées. Juste au moment où je recommence à tanguer de fatigue, je crois halluciner en apercevant mon ancien coach et surtout ami. Adrien est bien là, en balade avec toute sa petite famille. Ils nous accompagnent un moment, et notre discussion me ramène à la vie.
Plus que deux montées. Le Tricot se dresse devant nous. C’est un mur, mais il est régulier, alors j’essaie comme à mon habitude de fixer un rythme – certes lent – et de ne pas m’arrêter. Petit à petit, j’en vois le bout. Au sommet, l’émotion m’envahit. Je pense à Déborah, je nous revois là il y a deux ans, je prends une photo pour elle.

Le retour d’énergie
Les jambes sont encore solides, le sommeil semble enfin me laisser tranquille et nous rattrapons progressivement des coureurs. Dans la dernière montée jusqu’à Bellevue, l’averse s’abat mais nous conservons un bon rythme. La sensation d’un retour d’énergie – enfin ! – est grisante. Manon et Romain sont à nouveau là au moment d’aborder la dernière descente jusqu’aux Houches. Après cela, huit kilomètres de plat nous attendent pour enfin boucler ce parcours. D’abord pénibles (un éboulement sur le chemin habituel nous contraint à longer la route), ils s’enchaînent ensuite assez vite.
L’arrivée à Chamonix est marquée par l’apparition d’Emma sur son vélo. En réalisatrice expérimentée, elle a décidé de nous faire un long traveling dans la rue qui mène vers l’arche. J’aperçois Jean, qui a dû abandonner à cause de sa cheville, Eric qui a préféré arrêter de souffrir à Beaufort puis j’entends l’équipe de l’agence 187 crier mon nom dans les derniers mètres. C’est tellement bon d’arriver enfin au bout. “Deux sur deux”, je pense en franchissant la ligne. Je suis fière de ne pas avoir lâché. Manon arrive tout de suite après, on se serre dans les bras. Elle aussi a lutté pendant près de 39 heures. Quelle épreuve !

Pratique
Plan de course de l’édition 2025 à télécharger ici
Assistance : Pour les plus autonomes, un seul sac d’assistance est prévu à Beaufort. Néanmoins, avoir une assistance dès Bourg Saint Maurice, à la fin de la première nuit, est un vrai plus. Cela permet de se changer pour la journée, si la pluie nous a mouillé pendant la nuit ou que l’on a eu chaud dans la descente. Perso, je me change à chaque fois que je le peux, et pendant cette course j’avais prévu 3 tenues complètes (t-shirt, short et chaussettes) : à BSM, Beaufort et Les Contamines.
Matériel : Les bâtons ne sont vraiment pas du luxe sur ce parcours. À la fois dans les montées, bien raides à partir de Bourg St Maurice, mais aussi dans certaines descentes. Pour plus d’informations sur le matériel, les articles de notre reco de course, à lire ici, sont très détaillés.
Bravo, encore bravo Florence ! Tu es au top ! Je suis partie Vendredi à l’aube en vallée d’Aoste marcher avec les copines;;; la fuite…
Bizz aussi à Julie !
Coucou Anne, c’est Julie mais Florence a aussi terminé la TDS cette année donc je lui transmets ton message 😉
Merci Anne, j’ai vu tes photos, ça vait encore l’air d’être une belle balade ! Je vais voir si je ne peux pas m’échapper qq jours en vallée d’Aoste avant les premières neiges !
Cest une course incroyable ! La description est vivante, on ressent la chaleur et la fatigue. Les moments avec les assistants sont touching, et larrivée à Chamonix est magique. Un récit passionnant qui donne envie de participer à une telle aventure ! 🏔️🏁