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TDS 2024 : l’aboutissement d’un rêve, 6 ans et 3 tentatives plus tard

Il aura fallu 6 ans pour que je réalise mon rêve. 6 ans pour que je vienne à bout de cette belle, mais violente, TDS. 2024 était mon année. Sur les Traces des Ducs de Savoie, c’est un peu le vilain petit canard de l’UTMB. Elle ne rentre pas vraiment dans le cadre, elle est particulièrement sauvage, elle ne tourne pas exactement autour du Mont-Blanc. Elle m’a fait de l’oeil en 2018. J’avais les points, et j’aimais davantage le D+ et le D- que d’avaler des kilomètres sur du plat ou des sentiers 4×4 : elle me tendait les bras.

Premier départ pris fin août 2019 mais une cheville qui vrille début juillet a mis à mal la préparation. Résultat : un essuie-glace qui se déclenche sur la longue descente vers Bourg-Saint-Maurice (BSM) et le clignotant mis au Cormet de Roselend (67e km), arrêtée par la barrière horaire. Rebelote en 2023, aux côtés de Julie, pour l’épisode dantesque de la TDS. Neige, vent, grêle, boue +++ Je vais un poil plus loin, La Gittaz, 74e km, mais je jette l’éponge à 1 minute de la barrière horaire avant de m’engager dans la longue traversée et la descente vers Beaufort. Julie, elle est allée au bout en warrior (on peut d’ailleurs voir son exploit dans le documentaire En mode Badass ! d’Emma Rota).

Jamais deux sans trois

Abandonner l’idée de finir la TDS ? Jamais ! La reco intégrale du parcours en 2023 (lire ici : partie 1 et partie 2) m’a conforté dans mon idée. La TDS est peut-être la plus dure des course de l’UTMB mais c’est aussi la plus belle. Les paysages sont dingues, le parcours est varié. Et cette course passe par mon jardin, Les Contamines, où j’ai passé de nombreuses vacances d’été depuis que je suis enfant. Pas Sur les Traces des Ducs de Savoie, mais sur celles de mon grand-père, qui a fait le Mont-Blanc à l’âge de 19 ans en 1933. Inspirant pour le moins.

En 2024, me voici donc encore alignée au départ à Courmayeur. La météo est à l’opposé de l’an dernier. Pas de grosse veste Gore-Tex et de gants chauds dès le départ mais short, t-shirt et manchons au cas où. Il fait doux, presque chaud, quand on entame la première montée. Tout va bien, je grimpe sans difficulté et sans me faire vraiment doubler. Une nouveauté appréciable de 2024. C’est bien aussi quand on progresse ! Les ravitos défilent (Checrouit, Lac Combal, col Chavannes) et voilà la première descente, longue mais douce avant de remonter vers le Col du Petit Saint-Bernard. Je cours tout du long, je gratte des places. Je me sens parfaitement à ma place aussi. Les étoiles filantes de la nuit laissent la place à un lever de soleil de dingue quand arrive le Petit Saint-Bernard. Toute la beauté du monde est sous mes yeux et quelques larmes coulent le long de mes joues.

Vers le Col du Petit Saint Bernard
Souffrir (un peu) pour vivre des moments comme ça, c’est ça l’ultra trail ! Lever de soleil à l’approche du Col du Petit Saint-Bernard sur la TDS. Crédit : Florence Santrot.

Le genou plie mais ne rompt pas

Alors que je réalisais la course parfaite, voilà le genou couine de nouveau dans la descente vers BSM. Merde, pas encore. Alors que toutes les planètes étaient alignées, voilà qu’une d’elles fait des siennes. Ce n’est que le début, une présence pas encore trop douloureuse mais je sais par expérience que cela va empirer. Alors je tente tout ce que je peux pour limiter la casse. Pied gauche posé en canard, course uniquement sur l’avant des pieds, petits pas de danse pour changer d’appui à chaque pas… je dois avoir l’air d’une folle aux yeux des autres traileurs mais qu’à cela ne tienne.

In love with Passeur de Pralognan. Crédit : F.S.

Je suis plus loin que les fois précédentes, et j’ai mis plus d’espace entre les barrières horaires et moi. Donc si je continue à avancer correctement, rien n’est perdu. Le message est passé à mon cerveau : on repousse les idées noires et on avance. Et fuck aussi à mes règles qui s’éternisent et qu’il faut gérer tant bien que mal en sus de tout le reste (si vous n’aviez jamais cherché pendant des heures un endroit discret en pleine nature pour changer un tampon, vous ne pouvez pas comprendre).

Après BSM – et un passage au centre médical pour un doliprane repousse-douleur et un strap mal posé inutile –, je m’engage dans l’enfer vers le Passeur de Pralognan (quelque chose comme 2000 mètres de D+ d’une traite ou presque) mais au moins ça monte, donc le genou me laissera à peu près tranquille.

Double belle surprise au Fort de la Platte, à mi-hauteur : mes parents ont réussi à monter je ne sais comment pour me faire un petit coucou et il y a de l’eau fraîche pour mieux supporter le cagnard. En 2019, c’était la dèche. Merci l’organisation d’avoir pensé à notre santé ! On continue vers le terrible Passeur de Pralognan. Plus on prend de la hauteur, plus les paysages deviennent majestueux. Ça aide à endurer les difficultés et les jambes qui hurlent de les laisser tranquille. Voici le col et ses 2567 mètres. On bascule en direction du Cormet de Roselend, en faisant attention car c’est raide comme la justice pour le début de la descente. La question est : que va dire le genou ? Bah… il n’aime pas mais le cerveau lui dit de bien fermer sa gueule ! Alors je trottine bon an mal an comme je peux pour arriver au ravitaillement.

Sur cette TDS, s’arrêter n’est pas une option

la gittaz
Coucou La Gittaz, cette année, je continue ! Crédit : F.S.

Je repars pour traverser une des plus belles portions de la course, à savoir le chemin du curé. Un sentier creusé dans la roche, avec un bon gros ravin au fond d’un canyon et un torrent qui dévale au fond. Sublime. Me revoilà à La Gittaz mais, contrairement à 2023, je passe large les barrières horaires. Je m’engage pour la longue montée, descente, montée, descente… vous avez l’idée et puis les crêtes avant de basculer vers Beaufort. Ça n’avance pas. C’est beau mais interminable.

La journée touche à sa fin avec un coucher de soleil de maboule (merci la vie) juste au moment où on entame la longue descente sur Beaufort. Je sais que le genou va crier. Je sais que je vais continuer en serrant les dents. Et comme une meuf bien débile que je suis, je ne sors ma frontale qu’en bas de la descente, alors qu’il fait déjà nuit noire depuis une heure. Je me foutrais des baffes parfois…

Voilà Beaufort, la chaleur du gymnase qui ressemble à une cour des miracles. Les odeurs, c’est cadeau. Ma famille me donne de quoi me changer, je prends mon temps et je décide même de dormir un peu. 5-10 minutes sur un tapis où la sueur du traileur précédent n’a pas encore séché… je recommande. Ou pas. Deux de mes nièces me réveillent avec un maximum de douceur mais ça ne m’empêche pas de quitter le gymnase en leur lançant un « j’ai envie d’y retourner comme de me pendre ». Mais s’arrêter n’est pas une option. Je veux retrouver ma famille aux Contamines le lendemain matin. Je veux le lever de soleil sur le Mont-Blanc, je veux ensuite le Col du Tricot et mourir sur la dernière ligne droite vers Chamonix. Je veux tout ça et rien ne se mettra en travers de l’objectif cette année.

coucher de soleil au-dessus de Beaufort
Coucher de soleil sur les hauteurs de Beaufort. Difficile de faire mieux, non ?! Crédit : Florence Santrot.

Entre enfer et paradis

En quittant Beaufort, je pars vers l’inconnu. Je n’ai jamais fait si long, je n’ai jamais fait autant de dénivelé, je n’ai jamais fait une seconde nuit complète. Et je n’ai jamais fait le parcours de la nuit car l’organisation a changé le tracé sur 16 km. Soyons clair, ce nouveau tronçon après Hauteluce, c’est de la merde. On monte, on descend, on monte, on descend, on passe au barrage de la Girotte sans rien voir… Au point d’eau du milieu de la nuit, on nous annonce une seconde partie plus douce qui sera en réalité un mélange de murs bien verticaux et de pierriers où il faut trouver son chemin avec un balisage assez light. L’enfer.

Surtout que je m’endors en marchant, avec les ravins à 50 cm du sentier… Quelle bonne idée de proposer de la ricorée (donc sans caféine) au lieu du café aux ravitos de la nuit, UTMB vous régalez parfois. Après le sommeil, voilà les hallucinations. J’ai vu, dans l’ordre, l’ombre d’un renard (mais pas le renard), une vierge Marie toute blanche (c’était des fleurs), un panneau d’affichage qui faisait défiler « A4 » sur le sac à dos du traileur devant moi, un chien-loup tout noir (un tronc)… J’hésite à m’endormir 5 minutes sur un rocher mais la peur de ne pas me réveiller me retient.

Contamines me voilà !

Mais je sais que je vais sortir de la nuit. Je déboule au refuge du Signal vers 6h30, aux premières lueurs sur le gros blanc, les dômes de Miage et même le tricot au loin. Les Contamines sont à ma portée. Je commence à me dire qu’il y a vraiment un truc à jouer cette année. Ça ne m’empêchera pas de lâcher un petit vomito là-haut. Même le ventre vide, je sais que la carcasse va tenir. La descente sera de nouveau l’occasion de tester la résistance des mâchoires avec le genou qui se rappelle de plus en plus à mon bon plaisir.

Mais me voilà à Notre-Dame-de-la-Gorge puis au ravitaillement des Contamines. La famille est là, bonheur total. Je tiens mon rêve. Il reste encore le gros morceau du Tricot et la descente aux Houches mais cet ultra m’aura appris un truc : la résignation. Donnez-moi toutes les montées, toutes les descentes, toutes les douleurs que vous voulez… rien ne me fera lâcher mon objectif et mon rêve. Je prends tout, je ne me plains pas. J’avance et c’est l’essentiel.

Premières lueurs sur le massif du Mont-Blanc. La petite lumière au col à gauche, c’est le Col du Tricot. Crédit : Florence Santrot.

La TDS avec du rab

Dans la montée vers les Chalets de Miage et le Col du Tricot, ça discute pas mal. On regarde les montres et on voit bien qu’un truc cloche. Le kilométrage et le dénivelé sera plus important que prévu. Ce qu’on ne savait pas encore, c’est que, du rab, il allait y en avoir encore avant l’arrivée. À la bascule vers les Bellevue, on nous annonce 6,1 km. Soit. Je n’ai pas tilté sur le moment. Et personne d’ailleurs n’a senti qu’il y avait un loup. Pour nous, c’était la descente classique. On ne refait pas un plein d’eau complet, Bellevue va arriver assez vite, somme toute. Grosse erreur. Il allait falloir encore en découdre (normal à la descente du Tricot, me direz-vous).

On quitte assez vite le sentier habituel pour s’engager sur un autre tracé qui fait descendre par de jolis paysages – coucou les cascades – mais qui fait surtout trop descendre ! Nous voilà sous Bellevue. Il faut remonter. Mais de combien ? Nul ne sait. Il est autour de midi, le cagnard est à son max et on enchaîne les montées sans savoir le temps que ça prendra. 40 minutes, 1 heure… surprise, surprise. Et plus d’eau dans les gourdes. Supayr. Au final, on se prend près de 300 mètres de dénivelé positif de plus. Comme un cadeau Kinder qu’on n’aurait jamais demandé. Mais vient finalement les Houches pour un dernier ravito express. Il fait chaud mais il ne reste que 8 km quasiment plat avant la ligne d’arrivée. Comme tout le monde, j’ai envie d’en terminer au plus vite.

L’arche d’arrivée ou la fête à la maison

Ça fait un bail que je n’ai pas vu l’arche d’arrivée sur une course de l’UTMB. Mais pas en 2024. Cette année, elle est pour moi. et j’arrive en milieu d’après-midi, quand la fête à Chamonix bat son plein. J’arrive à trottiner – et à faire largement mentir le pronostic de LiveTrail qui me donnait Les Houches-Cham en 2 heures – pour arriver dans la ville. À 1 kilomètre de l’arrivée, je retrouve les nièces. C’est la règle depuis que je m’inscris sur l’UTMB : elles m’accompagnent jusqu’à l’arche.

Julie Lutringer
La ruée vers l’arche d’arrivée. Crédit : Julie Lutringer

Ambiance de folie, nièces qui me boostent pour accélérer dans les rues de la ville bondées, applaudissements et félicitations tout le long du parcours… je suis accueillie comme si je terminais sur le podium alors que j’en suis dingue. On peut dire ce qu’on veut de l’UTMB, cette ambiance-là, elle est unique. Voilà le tapis bleu, la place du triangle de l’amitié et l’église de Chamonix. Je peux sonner la récré pour mes pieds qui souffrent depuis tellement longtemps. 40 heures 10 pour venir à bout de cette TDS. J’aurais sans doute pu faire 1 heure ou plus de moins en prenant moins mon temps aux ravitos (2h28 au total !) mais on s’en fout, je ne suis pas là pour le chrono. Je suis là pour la veste immonde de finisheuse. Elle est désormais mienne. Tout comme les souvenirs de dingue de cette course hors norme.

Victoire ! La troisième tentative a été la bonne pour la TDS. Crédit : J.S.

Et à la montre ? En lieu et place des 148 km et 9200 D+ annoncés, je termine avec 157,79 km et 9703 mètres de dénivelé positif au compteur. Place maintenant à la récupération.

MERCI ❤️

Dernière chose : je sais que cette victoire, je ne la dois qu’à moi-même. Je me suis entraînée avec sérieux et discipline. J’ai fait les efforts et sacrifices nécessaires – cette année comme les précédentes. J’ai osé prendre le départ (environ 10 % de femmes, 40 % d’abandon au total) et j’ai tenu jusqu’à la ligne d’arrivée. Mais, malgré tout, cette victoire, cet exploit, je la partage. Avec ma famille d’abord. Merci du fond du coeur aux parents, aux nièces, à mon frère et ma soeur. Certains n’ont dormi que 6 heures sur deux jours, ont mal mangé, eu froid, eu chaud… Ils étaient au départ, à l’arrivée et même au milieu. Merci, merci, merci.

Merci aussi aux ami.e.s. qui m’ont accompagnés sur les entraînements (Julie et Alexis en particulier), m’ont donné des conseils, étaient là sur la ligne d’arrivée (big up à toi Élodie, qui n’a jamais manqué une de mes arrivées UTMB). Ou après la ligne d’arrivée (coucou Emma !) parce que LiveTrail n’a pas cru en mes capacités ! On se revoit à coup sûr sur d’autres courses, d’autres paysages parce que oui, plus que jamais, le trail, c’est vraiment le sport le plus stylé de la planète.

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10 commentaires sur “TDS 2024 : l’aboutissement d’un rêve, 6 ans et 3 tentatives plus tard”

  1. Bonjour,
    J’ai lu avec plaisir ce récit de course, bravo, 👍
    L’an passé on avait échangé brièvement au ravito des Houches lorsque je terminais cette TDS 2023.
    Cette année perso pas d’utmb mais j’ai beaucoup pensé à cette TDS, expérience qui marque tellement ou se mêle ambiance, difficultés, beauté.
    Encore bravo
    Michel

  2. Bravo Florence, j’ai suivi avec énormément d’intérêt la description de ta course et ton enthousiasme et ta détermination.
    bravo mille fois ainsi qu’à toute la famille Santrot
    une fan de tes récits qui connait très bien la région de Chamonix et la chaine du Mt Blanc
    Pierre se joint à moi pour te féliciter

  3. 03 Sept
    J’ai vu il y a deux ou trois jours à la télé un moment d’une course montblanchienne qui aboutissait à Chamonix, à 140 km et des poussières du départ et qui était sans aucun doute la tienne. Je n’en ai pas douté en lisant ton journal de bord. J’ai retenu de préférence celui-ci parmi les trois que tu proposes à tes lecteurs.
    Florence, ton récit vaut tous les reportages parce que même pour l’analphabète que je suis en la matière, tu permets dans ton style dynamique, dans ton jargon, dans des exclamations, dans le renvoi à Cambronne, dans les détails que tu donnes — sur ton genou par exemple, ou, aux étapes, l’importance du manger et du boire autant que des rencontres, quel engagement total est le tien: c’est celui tout entier de ton corps, de ton cerveau, de ton moral, la maîtrise de l’ensemble et des phénomènes accessoires (comme les apparitions nées du sommeil) et la joie que procure toujours un lever ou un coucher de soleil. Et la fête de l’arrivée, accompagnée par l’effort et la joie de tes nièces. En définitive tu montres à l’évidence la place que peut tenir l’investissement familial marginal dans ton engagement, ton exploit, dans la tension extrême de ta volonté et de toute tes facultés.
    Bravo et l’amical souvenir de Françoise et Louis.

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